9. Actes symptomatiques et accidentels (2)

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À cela se rattache ce que Th. Reik (Internat. Zeitschr.f Psychoanalyse, III, 1915) raconte au sujet d'autres actes symptomatiques portant sur l'alliance:

«Nous connaissons les actes symptomatiques accomplis par des époux et qui consistent à enlever et à remettre machinalement leur alliance. Mon collègue K. a accompli toute une série d'actes symptomatiques de ce genre. Une jeune fille qu'il aimait lui fit cadeau d'une bague, en lui recommandant de ne pas la perdre, car s'il la perdait, ce serait un signe qu'il ne l'aimerait plus. Par la suite il fut constamment obsédé par la crainte de perdre la bague. Lorsqu'il lui arrivait de l'enlever, pour se laver les mains, par exemple, il oubliait régulièrement la place où il l'avait mise et ne la retrouvait souvent qu'après de longues recherches. Lorsqu'il laissait tomber une lettre dans une boîte, il appréhendait toujours qu'un mouvement maladroit de la main contre le rebord de celle-ci ne fasse glisser la bague pour l'envoyer rejoindre la lettre au fond de la boite. Un jour il manceuvra si bien que l'accident tant redouté arriva réellement. C'était un jour où il expédiait une lettre de rupture à une de ses anciennes maîtresses, devant laquelle il se sentait coupable. Au moment de laisser tomber la lettre dans la boîte, il fut pris du désir de revoir cette femme, désir qui entra en conflit avec son affection pour sa maîtresse actuelle.»

À propos de ces actes symptomatiques ayant pour objet la bague, l'anneau ou l'alliance, on constate une fois de plus que la psychanalyse rie découvre rien que les poètes n'aient pressenti depuis longtemps déjà. Dans le roman de Fontane Avant l'orage, le conseiller de justice Turgany dit pendant un jeu de gages: «Croyez-moi, mesdames, la remise d'un gage révèle parfois les mystères les plus profonds de la nature.» Parmi les exemples qu'il cite à l'appui de son affirmation, il en est un qui mérite un intérêt particulier. «Je me souviens, dit-il, d'une femme de professeur, à l'âge de l'embonpoint, qui, chaque fois, remettait en gage son alliance qu'elle tirait du doigt. Permettez-moi de ne pas vous décrire le bonheur conjugal de cette maison.» «Il se trouvait dans la même société, continua-t-il, un monsieur qui ne se lassait pas de déposer sur les genoux de cette dame son couteau de poche, muni de dix lames, d'un tire-bouchon et d'un briquet, jusqu'à ce que ce couteau monstre, après avoir déchiré plusieurs jupes de soie, ait disparu à travers les déchirures, à la grande indignation du public.»

Il n'est pas étonnant qu'un objet comme une bague ait une signification aussi riche, alors même qu'aucun sens érotique ne s'y trouve attaché, c'est-à-dire alors même qu'il ne s'agit ni d'une bague de fiançailles, ni d'une alliance. Le Dr Kardos a mis à ma disposition l'exemple suivant d'un acte manqué de ce genre:

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Il y a quelques années, un homme beaucoup plus jeune que moi et partageant mes idées, a bien voulu s'associer à mes travaux et adopter à mon égard une attitude que je qualifierai comme celle d'un disciple. À une certaine occasion, je lui ai offert une bague qui a provoqué de sa part un grand nombre d'actes symptomatiques ou manqués, et cela toutes les fois où nos relations ont été troublées par un malentendu. Tout récemment, il me fit part du fait suivant, particulièrement intéressant et transparent: sous un prétexte quelconque, il manqua l'un de nos rendez-vous hebdomadaires, au cours desquels nous avions l'habitude d'échanger à loisir nos idées; en réalité, il avait préféré rencontrer une jeune dame, avec laquelle il avait rendez-vous à la même heure. Le lendemain matin il s'aperçoit, mais longtemps après avoir quitté sa maison, qu'il a oublié de mettre sa bague. Il ne s'en inquiète pas outre mesure, se disant qu'il l'a sans doute laissée sur sa table de nuit où il avait l'habitude de la déposer tous les soirs, et persuadé qu'il la retrouvera à son retour. Aussitôt rentré, il se met à chercher la bague, mais en vain: elle n'était pas plus sur la table de nuit qu'ailleurs. Il finit par se rappeler qu'il avait, selon une habitude remontant à plus d'une année, déposé sa bague sur la table de nuit, à côté d'un petit canif; aussi pensa-t-il avoir mis, par distraction, la bague dans cette poche, en même temps que le canif. Il plonge donc les doigts dans la poche du gilet et y retrouve effectivement la bague.

«L'alliance dans la poche du gilet», telle est la recommandation qu'un proverbe populaire adresse au mari qui se propose de tromper sa femme. La conscience de sa faute l'a donc poussé d'abord à s'infliger un châtiment: «Tu ne mérites plus de porter cette bague», et ensuite à avouer son infidélité, sous la forme d'un acte manqué qui, il est vrai, n'avait pas de témoins. Il n'est arrivé à avouer sa petite «infidélité» que par le détour (c'était d'ailleurs à prévoir) du récit qu'il en fit.»

Je connais aussi un monsieur âgé ayant épousé une très jeune fille et qui, au lieu de partir tout de suite en voyage, préféra passer avec sa jeune femme la première nuit dans un hôtel de la capitale. À peine arrivé à l'hôtel, il constata avec angoisse que son portefeuille contenant la somme destinée au voyage de noces avait disparu. Il eut encore le temps de téléphoner à son domestique, qui avait retrouvé le portefeuille dans une poche de l'habit que notre nouveau marié avait déposé chez lui en revenant de la cérémonie du mariage. Rentré en possession de son portefeuille, il put le lendemain partir en voyage avec sa jeune femme; mais, ainsi qu'il l'avait redouté, il n'avait pas été capable de remplir pendant la nuit ses devoirs conjugaux.

Il est consolant de penser que, dans l'immense majorité des cas, les hommes, lorsqu'ils perdent quelque chose, accomplissent un acte symptomatique et qu'ainsi la perte d'un objet répond à une intention secrète de celui qui est victime de cet accident. Très souvent, la perte de l'objet témoigne seulement du peu de prix qu'on attache à celui-ci ou du peu d'estime qu'on a pour la personne de qui on le tient; ou encore, la tendance à perdre un objet déterminé vient d'une association d'idées symbolique entre cet objet et d'autres, beaucoup plus importants, la tendance se trouvant transférée de ceux-ci à celui-là. La perte d'objets précieux sert à exprimer les sentiments les plus variés: elle peut constituer la représentation symbolique d'une idée refoulée, donc un avertissement auquel on ne prête pas volontiers l'oreille, ou bien (et avant tout) elle doit être considérée comme un sacrifice offert aux obscures puissances qui président à notre sort et dont le culte subsiste toujours parmi nous [86].

Voici quelques exemples à l'appui de ces propositions concernant la perte d'objets:

Dr B. Dattner: «Un collègue me raconte qu'il a perdu par hasard son stylo qu'il avait depuis deux ans et auquel il tenait beaucoup, parce qu'il le trouvait très commode. L'analyse révéla la situation suivante. La veille, le collègue avait reçu de son beau-frère une lettre profondément désagréable qui se terminait ainsi: «Je n'ai d'ailleurs ni le temps ni l'envie d'encourager ta légèreté et ta paresse.» L'émotion provoquée par cette lettre fut telle que le lendemain le collègue perdit son stylo, qu'il avait précisément reçu en cadeau de ce beau-frère: ce fut comme un sacrifice qu'il offrit, afin de ne rien devoir à ce dernier.»

Une dame de ma connaissance ayant perdu sa vieille mère s'abstient naturellement de fréquenter les théâtres. L'anniversaire de la mort devant expirer dans quelques jours, elle se laisse entraîner par des amis à prendre un billet pour une représentation particulièrement intéressante. Arrivée devant le théâtre, elle constate qu'elle a perdu son billet. Elle croit l'avoir, par mégarde, jeté avec le billet de tramway, en descendant de voiture. Cette dame se vante précisément de n'avoir jamais rien perdu par inattention.

On peut admettre qu'une autre perte faite par elle eut également ses raisons.

Arrivée dans une station thermale, elle se décide à faire une visite dans une pension de famille où elle était logée lors d'un séjour antérieur. Elle y est reçue comme une vieille connaissance, invitée à dîner, et lorsqu'elle veut payer, on ne veut rien accepter d'elle, ce qui lui déplaît quelque peu. On lui accorde seulement la permission de laisser quelque chose à la servante, et elle ouvre sa bourse pour retirer un billet de 1 mark. Le soir, le domestique de la pension lui apporte un billet de 5 marks qu'il a trouvé sous la table et qui, d'après la maîtresse de la pension, ne peut appartenir qu'à elle. Elle l'a donc laissé tomber, pendant qu'elle cherchait dans son porte-monnaie le billet qu'elle voulait laisser en pourboire à la bonne. Il est probable qu'elle tenait quand même à payer son repas.

Dans une communication assez longue, publiée sous le titre: «La signification symptomatique de la perte d'objets» dans Zentralblatt für Psychoanalyse (I, 10/11), M. Otto Rank a eu recours à l'analyse de rêves pour faire ressortir le caractère de «sacrifice» inhérent à cet acte et dégager ses raisons profondes. (D'autres communications sur le même sujet ont paru dans Zeitschr. f. Psychoanalyse, Il et Internat. Zeitschr. f Psychoanalyse, I, 1913). Le plus intéressant, c'est que l'auteur montre que ce n'est pas seulement la perte d'objets qui est déterminée par des raisons cachées, mais qu'on peut souvent en dire autant de la découverte d'objets. L'observation suivante montre dans quel sens il faut entendre cette proposition. Il est évident que, lorsqu'il s'agit de perte, l'objet est déjà donné, tandis que dans le cas de trouvaille il doit encore être cherché (Internat. Zeitschr. f. Psychoanal., III, 1915).

«Une jeune fille, encore à la charge de ses parents, veut s'acheter un bijou bon marché. Elle demande le prix de l'objet qui la tente, mais apprend, à son regret, que ce prix dépasse ses économies. Il ne lui manque que deux couronnes pour pouvoir s'offrir cette petite joie. Très triste, elle se dirige chez elle à travers les rues, très animées à cette heure-là. Sur une des places les plus fréquentées, et bien que, d'après ses dires, elle fût profondément plongée dans ses pensées, elle aperçoit à terre un bout de papier qu'elle allait dépasser sans y prêter attention. Mais elle se ravise, se baisse pour le ramasser et constate, à son grand étonnement, que c'est un billet de deux couronnes plié. Elle pense: «C'est un heureux hasard qui me l'envoie, pour que je puisse m'acheter le bijou», et elle se propose de rebrousser chemin pour réaliser son intention. Mais, au même moment, elle se dit qu'elle ne doit pas le faire, car l'argent trouvé porte-bonheur et qu'il faut le garder.

L'analyse qui peut nous faire comprendre cet acte accidentel, se dégage toute seule de la situation donnée, sans que nous ayons besoin d'interroger la personne intéressée. Parmi les idées qui préoccupaient la jeune fille pendant qu'elle se rendait chez elle, figurait certainement, et en premier lieu, celle de sa pauvreté et de sa gêne matérielle, et nous pouvons supposer que cette idée était associée au désir de voir cette situation cesser au plus tôt. Il est plus que probable qu'en pensant à la satisfaction de soin modeste désir de posséder le bijou qui la tentait, elle se demandait quel serait le moyen le plus facile de compléter la somme nécessaire, et il est tout naturel qu'elle se soit dit que la difficulté serait résolue le plus simplement du monde, si elle trouvait la somme de deux couronnes qui lui manquait. C'est ainsi que soin inconscient (ou son préconscient) fut orienté vers la «trouvaille», à supposer même que, son attention étant absorbée par autre chose (elle était «profondément plongée» dans ses pensées), l'idée d'une pareille possibilité n'ait pas atteint sa conscience. Et même, nous rappelant d'autres cas analogues qui ont été analysés, nous pouvons affirmer que la «tendance à chercher», inconsciente, peut plus facilement aboutir à un résultat positif que l'attention consciemment orientée. Autrement il serait difficile d'expliquer pourquoi ce fut justement cette personne, parmi les centaines d'autres ayant suivi le même trajet, qui fit cette trouvaille, étonnante par elle-même, et cela malgré l'obscurité du crépuscule et malgré la bousculade de la foule pressée. Pour montrer toute la force de cette tendance inconsciente ou préconsciente, il suffit de citer ce fait singulier qu'après sa première trouvaille notre jeune fille en fit une autre: elle ramassa un mouchoir dans un endroit obscur et solitaire d'une rue de faubourg. Or, le fait d'avoir trouvé le billet de deux couronnes lui ayant procuré la satisfaction qu'elle cherchait, il est certain que le désir de trouver autre chose était devenu complètement étranger à sa conscience et ne pouvait plus, en tout cas, diriger et guider son attention.»

Il faut dire que ce sont justement les actes symptomatiques de ce genre qui nous ouvrent le meilleur accès à la connaissance de la vie psychologique intime de l'homme.

Sur le grand nombre d'actes symptomatiques isolés que je connais, j'en citerai un dont le sens profond se révèle sans qu'on ait besoin de recourir à l'analyse. Il révèle on ne peut mieux les conditions dans lesquelles ces actes se produisent, sans que la personne intéressée s'en aperçoive et il autorise, en outre, une remarque de grande importance pratique. Au cours d'un voyage de vacances, il m'arriva d'être obligé de rester plusieurs jours dans le même endroit, pour attendre l'arrivée de mon compagnon. Je fis entre temps la connaissance d'un jeune homme qui semblait également se sentir seul et se joignit volontiers a moi. Comme nous habitions le même hôtel, il arriva tout naturellement que nous prîmes nos repas et fîmes des promenades ensemble. L'après-midi du troisième jour il m'annonça subitement qu'il attendait le soir même sa femme qui devait arriver par l'express. Mon intérêt psychologique se trouva éveillé, car j'avais déjà été frappé dans la matinée par le fait qu'il avait repoussé mon projet d'une excursion plus importante et qu'au cours de notre petite promenade il avait refusé de prendre un certain chemin, parce qu'il le trouvait trop raide et dangereux. Pendant notre promenade de l'après-midi il me dit brusquement de ne pas retarder mon dîner à cause de lui, de manger sans lui, si j'avais faim, car, en ce qui le concerne, il ne dînerait pas avant l'arrivée de sa femme. Je compris l'allusion et me mis à table, tandis qu'il se rendait à la gare. Le lendemain matin nous nous rencontrâmes dans le hall de l'hôtel. Il me présenta sa femme et ajouta: «Vous allez bien déjeuner avec nous?» J'avais quelque chose à acheter dans la rue la plus proche et promis de revenir aussitôt. En entrant dans la salle à manger, je trouvai le couple installé, tous deux sur le même rang, devant une petite table à côté d'une fenêtre. En face d'eux il n'y avait qu'un fauteuil, dont le dossier et le siège étaient encombrés par le lourd imperméable du mari. J'ai très bien compris le sens de cette situation, qui n'était certainement pas intentionnelle, mais d'autant plus significative. Cela voulait dire: «Ici il n'y a pas place pour toi, tu es maintenant de trop.» Le mari ne remarqua pas que j'étais resté debout devant la table, sans m'asseoir, mais sa femme le poussa du coude et lui chuchota: «Tu as encombré le fauteuil de ce monsieur.»

À propos de ce fait, et d'autres analogues, je me suis dit plus d'une fois que les actes non-intentionnels de ce genre doivent nécessairement devenir une source de malentendus dans les relations humaines. Celui qui accomplit un acte pareil, sans y attacher aucune intention, ne se l'attribue pas et ne s'en estime pas responsable. Quant à celui qui est, pour ainsi dire, victime d'une telle action, qui en supporte les conséquences, il attribue à son partenaire des intentions et des pensées dont celui-ci se défend, et il prétend connaître de ses processus psychiques plus que celui-ci ne croit en avoir révélé. L'auteur d'un acte symptomatique est on ne peut plus contrarié, lorsqu'on le met en présence des conclusions que d'autres en ont tirées; il déclare ces conclusions fausses et sans fondement: c'est qu'il n'a pas conscience de l'intention qui a présidé à son acte. Aussi finit-il par se plaindre d'être incompris ou mal compris par les autres. Au fond, les malentendus de ce genre tiennent au fait qu'on comprend, trop et trop finement. Plus deux hommes sont «nerveux», et plus il y aura d'occasions de brouille entre eux, occasions dont chacun déclinera la responsabilité avec autant d'énergie qu'il l'attribuera à l'autre. C'est là le châtiment pour notre manque de sincérité intérieure: sous le masque de l'oubli et de la méprise, en invoquant pour leur justification l'absence de mauvaise intention, les hommes expriment des sentiments et des passions dont ils feraient bien mieux d'avouer la réalité, en ce qui les concerne aussi bien qu'en ce qui concerne les autres, dès l'instant où ils ne sont pas à même de les dominer. On peut, en effet, affirmer d'une façon générale que chacun se livre constamment à l'analyse de ses prochains, qu'il finit par connaître mieux qu'il ne se connaît lui-même. Pour se conformer au précepte [en grec dans le texte] il faut commencer par l'étude de ses propres actes et omissions, apparemment accidentels.

De tous les poètes qui se sont prononcés sur les petits actes symptomatiques ou actes manquées, ou ont eu à s'en servir, il en est peu qui aient aussi bien entrevu leur nature cachée et éclairé aussi crûment les situations qu'ils provoquent que le fit Strindberg (dont le génie fut d'ailleurs aidé dans ce travail par son propre état psychique, profondément pathologique).

Le Dr Karl Weiss (de Vienne) a attiré J'attention sur le passage suivant d'un de ses ouvrages (Internat. Zeitschr. f. Psychoanal., I, 1913, p. 268):

«Au bout d'un instant, le comte arriva en effet et s'approcha tranquillement d'Esther, comme s'il lui avait donné rendez-vous.

– Attends-tu depuis longtemps? demanda-t-il d'une voix sourde.
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