5. Les lapsus (2)

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La suite de l'analyse n'a fait que confirmer les résultats que nous venons d'exposer. La rêveuse s'était, la veine, pour la première fois arrêtée devant le groupe de Strasser représentant Antoine et érigé tout près de son domicile. Ce fut le deuxième prétexte du rêve (le premier a été fourni par la conférence sur les morsures de serpents). À une phase ultérieure de son rêve, elle se voyait berçant dans ses bras un enfant, et le souvenir de cette scène la fait penser à Gretchen. Parmi les autres idées qui viennent à l'esprit figurent des réminiscences relatives à «Arria et Messaline ». L'évocation, dans les idées du rêve, de tant de noms empruntés à des pièces de théâtre permet de soupçonner que la rêveuse a dû jadis nourrir le secret désir de se consacrer à la scène. Le commencement du rêve: «Un enfant a résolu de se suicider, en se faisant mordre par un serpent» ne signifie en réalité que ceci: étant enfant, elle avait ambitionné devenir un jour une grande actrice. Du nom «Messaline», enfin, se détache une suite d'idées qui conduit au contenu essentiel du rêve. Certains événements survenus dernièrement lui font craindre que son frère unique contracte un mariage avec une non-Aryenne, donc une mésalliance [26].

1 ) Il s'agit maintenant d'un exemple anodin et dans lequel les mobiles du lapsus n'ont pu être tirés suffisamment au clair. Je le cite cependant à cause de l'évidence du mécanisme qui a présidé à la formation de ce lapsus.

Un Allemand voyageant en Italie a besoin d'une courroie pour serrer sa malle quelque peu détériorée. Il consulte le dictionnaire et trouve que la traduction italienne du mot «courroie» est coreggia. «Je retiendrai facilement ce mot, se dit-il, en pensant au peintre» (Correggio). E entre dans une boutique et demande: une ribera.

Il n'a sans doute pas réussi à remplacer dans sa mémoire le mot allemand par sa traduction italienne, mais ses efforts n'ont pas été tout à fait vains. Il savait qu'il devait penser au nom d'un peintre italien, pour se rappeler le mot dont il avait besoin; mais au lieu de retenir le nom Corregio qui ressemble le plus au mot coreggia, il évoqua le nom Ribera qui se rapproche du mot allemand Riemen (courroie). Il va sans dire que j'aurais pu tout aussi bien citer cet exemple comme un exemple de simple oubli d'un nom propre.

En réunissant des exemples de lapsus pour la première édition de ce livre, je soumettais à l'analyse tous les cas, même les moins significatifs, que j'avais l'occasion d'observer. Mais, depuis, d'autres se sont astreints à l'amusant travail qui consiste à réunir et à analyser des lapsus, ce qui me permet aujourd'hui de disposer de matériaux beaucoup plus abondants.

m ) Un jeune homme dit à sa sœur: «J'ai tout à fait rompu avec les D. Je ne les salue plus.» Et la sœur de répondre: «C'était une jolie liaison.» Elle voulait dire: dire: une jolie relation-SIPPschaft, mais dans son lapsus elle prononça LIPPschaft, au lieu de Liebchaft-liaison. Et en parlant de liaison (sans le vouloir), elle exprima une allusion au flirt que son frère eut autrefois avec la jeune fille de la famille D. et aussi aux bruits défavorables qui, depuis quelque temps, couraient sur le compte de cette dernière, à laquelle on attribuait une liaison.

n ) Un jeune homme adresse ces mots à une dame qu'il rencontre dans la rue: «Wenn Sie gestatten, Fräulein, möchte ich Sie gerne begleitdigen.» Il voulait dire: «Si vous permettez, Mademoiselle, je vous accompagnerais volontiers»; mais il a commis un lapsus par contraction, en combinant le mot begleiten (accompagner) avec le mot beleidigen (offenser, manquer de respect). Son désir était évidemment de l'accompagner, mais il craignait de la froisser par son offre. Le fait que ces deux tendances opposées aient trouvé leur expression dans un seul mot, et précisément dans le lapsus que nous venons de citer, prouve que les véritables intentions du jeune homme n'étaient pas tout à fait claires et devaient lui paraître à lui-même offensantes pour cette dame. Mais alors qu'il cherche précisément à lui cacher la manière dont il juge son offre, son inconscient lui joue le mauvais tour de trahir son véritable dessein, ce qui lui attire de la part de la dame cette réponse: «Pour qui me prenez-vous donc, pour me faire une offense pareille (beleidigen)?» (Communiqué par 0. Rank).

o) J'emprunte quelques exemples à un article publié par W. Stekel dans le Berliner Tageblatt du 4 Janvier 1904, sous le titre: «Aveux inconscients».

«L'exemple suivant révèle un coin désagréable dans la région de mes idées inconscientes. Je dois dire tout de suite qu'en tant que médecin je ne songe jamais à l'intérêt pécuniaire mais, ce qui est tout à fait naturel, à l'intérêt du malade. Je me trouve chez une malade à laquelle je donne des soins pour l'aider à se remettre d'une maladie très grave dont elle sort à peine. J'avais passé auprès d'elle des jours et des nuits excessivement pénibles. Je suis heureux de la trouver mieux, et lui décris les charmes du séjour qu'elle va faire à Abbazia, en ajoutant: «Si, comme je l'espère, vous ne quittez pas bientôt le lit.» Ce disant, j'ai évidemment exprimé le désir inconscient d'avoir à soigner cette malade plus longtemps, désir qui est complètement étranger à ma conscience éveillée et qui, s'il se présentait, serait réprimé avec indignation.»

p) Autre exemple (W. Stekel): «Ma femme veut engager une Française pour les après-midi et, après s'être mise d'accord avec elle sur les conditions, elle veut garder ses certificats. La Française la prie de les lui rendre, en prétextant: «Je cherche encore pour les après-midi, pardon, pour les avant-midi [27] Elle avait évidemment l'intention de s'adresser ailleurs, dans l'espoir d'obtenir de meilleures conditions; ce qu'elle fit d'ailleurs.»

q ) Le Dr Stekel raconte qu'il avait à un moment donné en traitement deux patients de Trieste qu'il saluait toujours, en appelant chacun par le nom de l'autre. «Bonjour, Monsieur Peloni», disait-il à Ascoli; «bonjour, Monsieur Ascoli», s'adressait-il à Peloni. Il n'attribua tout d'abord cette confusion à aucun motif profond; il n'y voyait que l'effet de certaines ressemblances entre les deux messieurs. Mais il lui fut facile de se convaincre que cette confusion de noms exprimait une sorte de vantardise, qu'il voulait montrer par là à chacun de ses patients italiens qu'il n'était pas le seul à avoir fait le voyage de Trieste à Vienne, pour se faire soigner par lui, Stekel.

r) Au cours d'une orageuse assemblée générale, le Dr Stekel propose: «Abordons maintenant le quatrième point de l'ordre du jour.» C'est du moins ce qu'il voulait dire; mais, gagné par l'atmosphère orageuse de la réunion, il employa, à la place du mot «abordons» (schreiten), le mot «combattons» (streiten).

s ) Un professeur dit dans sa leçon inaugurale: «Je ne suis pas disposé à apprécier les mérites de mon éminent prédécesseur». Il voulait dire: «je ne me reconnais pas une autorité suffisante…»: geeignet, au lieu de geneigt.

t) Le Dr Stekel dit à une dame qu'il croit atteinte de la maladie de Basedow (goitre exophtalmique): «Vous êtes d'un goître (Kropf) plus grande que votre sœur.» Il voulait dire. «Vous êtes d'une tête (Kopf) plus grande que votre sœur.»

u ) Le Dr Stekel raconte encore: quelqu'un parle de l'amitié existant entre deux individus et veut faire ressortir que l'un d'eux est juif. Il dit donc: «ils vivaient ensemble comme Castor et Pollak» (au lieu de Pollux; Pollak est un patronyme juif assez répandu). Ce ne fut pas, de la part de l'auteur de cette phrase, un jeu de mots; il ne s'aperçut de son lapsus que lorsqu'il fut relevé par son auditeur.

v ) Quelquefois le lapsus remplace une longue explication. Une jeune femme, très énergique et autoritaire, me parle de son mari malade qui a été consulter un médecin sur le régime qu'il doit suivre. Et elle ajoute: «Le médecin lui a dit qu'il n'y avait pas de régime spécial à suivre, qu'il peut manger et boire ce que je veux» (au lieu de: ce qu'il veut).

Les deux exemples suivants, que j'emprunte au Dr Th. Reik (Internat. Zeitschr. f Psychoanal., III, 1915), se rapportent à des situations dans lesquelles les lapsus se produisent facilement, car dans ces situations on réprime plus de choses qu'on n'en exprime.

x ) Un monsieur exprime ses condoléances à une jeune femme qui vient de perdre son mari, et il veut ajouter: «Votre consolation sera de pouvoir vous consacrer entièrement à vos enfants.» Mais en prononçant la phrase, il remplace inconsciemment le mot «consacrer» (widinen) par le mot widwen, par analogie avec le mot Witwe – veuve. Il a ainsi trahi une idée réprimée se rapportant à une consolation d'un autre genre: une jeune et jolie veuve (Witwe) ne tardera pas à connaître de nouveau les plaisirs sexuels.

y ) Le même monsieur s'entretient avec la même dame au cours d'une soirée chez des amis communs, et on parle des préparatifs qui se font à Berlin en vue des fêtes de Pâques. Il lui demande: «Avez-vous vu l'exposition de la maison Wertheim? Elle est très bien décolletée.» Il a admiré dès le début de la soirée le décolleté de la jolie femme, mais n'a pas osé lui exprimer son admiration; et voilà que l'idée refoulée en arrive à percer quand même, en lui faisant dire, à propos d'une exposition de marchandises, qu'elle était décolletée, alors qu'il la trouvait tout simplement très décorée. Il va sans dire que le mot exposition prend, avec ce lapsus, un double sens.

La même situation s'exprime dans une observation dont Hanns Sachs essaie de donner une explication aussi complète que possible.

z ) Me parlant d'un monsieur qui fait partie de nos relations communes, une dame me raconte que la dernière fois qu'elle l'a vu, il était aussi élégamment mis que toujours, mais qu'elle avait surtout remarqué ses superbes souliers (HALBSChuhe) jaunes. – Où l'avez-vous rencontré? lui demandai-je. – Il sonnait à ma porte et je l'ai vu à travers les jalousies baissées. Mais je n'ai ni ouvert, ni donné signe de vie, car je ne voulais pas qu'il sache que j'étais déjà rentrée en ville. Tout en l'écoutant, je me dis qu'elle me cache quelque chose (probablement qu'elle n'était ni seule ni en toilette pour recevoir des visites) et je lui demande un peu ironiquement: – C'est donc à travers les jalousies baissées que vous avez pu admirer ses pantoufles (HAUsschuhe)… pardon, ses souliers (HALBSchuhe)? Dans le mot HAusschuhe s'exprime l'idée refoulée relative à la robe d'intérieur (HAuskleid) que, d'après ma supposition, elle devait avoir sur elle au moment où le monsieur en question sonnait à sa porte. Et j'ai encore dit HAusschuhe, à la place de HALBschuhe, parce que le mot Halb (moitié) devait figurer dans la réponse que j'avais l'intention de faire, mais que j'ai réprimée: – Vous ne me dites que la moitié de la vérité, vous étiez à moitié habillée. Le lapsus a, en outre, été favorisé par le fait que nous avons, peu de temps auparavant, parlé de la vie conjugale de ce monsieur, de son «bonheur domestique» (hausliches – de Haus), ce qui avait d'ailleurs amené la conversation sur sa personne. Je dois enfin convenir que si j'ai laissé cet homme élégant stationner dans la rue en pantoufles (HAUSSChuhe), ce fut aussi un peu par jalousie, car je porte moi-même des souliers (HALBschuhe) jaunes qui, bien que d'acquisition récente, sont loin d'être «superbes».

Les guerres engendrent une foule de lapsus dont la compréhension ne présente d'ailleurs aucune difficulté.

a) «Dans quelle arme sert votre fils?» demande-t-on à une dame. Celle-ci veut répondre: «dans la 42e batterie de mortiers» (Mörser), – mais elle commet un lapsus et dit Mörder (assassins), au lieu de Mörser.

b ) Le lieutenant Henrik Haiman écrit du front [28]: «Je suis arraché à la lecture d'un livre attachant, pour remplacer pendant quelques instants le téléphoniste éclaireur. À l'épreuve de conduction faite par la station de tir je réponds: «Contrôle exact. Repos.» Réglementairement, j'aurais dû répondre: «Contrôle exact. Fermeture.» Mon erreur s'explique parla contrariété que j'ai éprouvée du fait d'avoir été dérangé dans ma lecture.

c) Un sergent-major recommande à ses hommes de donner à leurs familles leurs adresses exactes, afin que les colis ne se perdent pas. Mais au lieu de dire «colis» (GEPÄCKstücke), il dit GESPECKstücke, du mot Speck – lard.
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