CHAPITRE II (2)

Un petit cercle s’était formé autour des acteurs de cette scène et les gens de la galerie semblaient ravis de cette diversion au sérieux que K. avait introduit dans l’assemblée.

K., sous le coup de la première impression, voulut aller immédiatement rétablir l’ordre, pensant d’abord que tout le monde aurait à cœur de le soutenir et tout au moins de chasser le couple de la salle; mais il se heurta dès les premiers rangs à des gens qui ne bougèrent pas et ne le laissèrent pas passer. Au contraire on l’en empêcha, et une main – il n’eut pas le temps de se retourner – le saisit même au col, dans le dos; il cessa de penser au couple, il lui sembla qu’on cherchait à attenter à sa liberté et que son arrestation devenait vraiment sérieuse, aussi sauta-t-il d’un bond au pied de l’estrade. Il se trouvait maintenant face à face avec la foule. Avait-il mal jugé les gens? Avait-il trop espéré de son discours? Avait-on dissimulé tant qu’il avait parlé et les masques tombaient-ils maintenant qu’il s’agissait d’en venir aux actes? Quelles têtes autour de lui! De petits yeux noirs passaient dans la pénombre, les joues pendaient comme des joues d’ivrognes, les longues barbes étaient raides et rares, et quand on y portait la main c’était comme si on griffait le vide avec ses doigts, mais, sous les barbes – et ce fut là la vraie découverte de K. – des insignes de diverses tailles et de diverses couleurs brillaient sur les cols de ces gens. Tous semblaient porter ces insignes, tous faisaient partie du même clan, ceux de droite comme ceux de gauche, et, en se retournant brusquement, K. vit aussi les mêmes insignes au col du juge d’instruction qui, les mains croisées sur le ventre, regardait tranquillement la salle.

«Ah! ah! s’écria K. en levant les bras au ciel, car cette subite découverte avait besoin de quelque espace pour s’exprimer. Vous êtes donc tous, à ce que je vois, des fonctionnaires de la justice, vous êtes cette bande de vendus dont je parlais, vous vous êtes réunis ici pour écouter et espionner, vous avez fait semblant de former des partis pour me tromper; si vous applaudissiez, c’était pour me sonder: vous vouliez savoir comment il faut s’y prendre pour induire un innocent en tentation. Eh bien ce n’était pas la peine: ou bien vous vous êtes amusés de voir que quelqu’un attendait de vous la défense de l’innocence ou bien… («Laissez-moi ou je cogne!» cria-t-il à un vieillard tremblotant qui s’était trop approché de lui) ou bien vous avez réellement appris quelque chose; je vous félicite de votre joli métier.»

Il prit rapidement son chapeau sur le bord de la table et se hâta de gagner la sortie au sein du calme général, calme qui ne pouvait s’expliquer que par la plus complète surprise. Mais le juge d’instruction semblait avoir été encore plus prompt que K., car il l’attendait déjà à la porte.

«Un instant», lui dit-il.

K. s’arrêta, mais sans regarder le juge, il n’avait d’yeux que pour la porte dont il avait déjà saisi la poignée.

«Je veux simplement, dit le juge, vous faire remarquer que vous vous êtes frustré vous-même aujourd’hui, sans avoir l’air de vous en rendre compte, de l’avantage qu’un interrogatoire représente toujours pour un accusé.»

K. dit en regardant la porte:

«Bande de fripouilles que vous êtes! s’écria-t-il, je vous fais cadeau de vos interrogatoires.»

Puis il ouvrit, et descendit à toute allure l’escalier. Derrière lui, il entendit s’élever le bruit de l’assemblée qui se ranimait pour discuter les événements comme une classe qui commente un texte.



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